L’espéranto est une énigme. C’est une langue au potentiel extraordinaire, et pourtant tout le monde constate la lenteur de son développement… Ceci s’explique bien sûr par des freins extérieurs (notamment politiques et écononiques) mais aussi par des limites intérieures, que nous devons savoir identifier pour agir sur elles.
L’une de nos limites se situe au niveau de la communication vers le public.
Ce problème a été abordé ces dernières années par certains espérantistes tels que Cyril Hurstel, Lu Wunsch-Rolshoven ou Dennis Keefe. Ce dernier a d’ailleurs rédigé une série d’articles extrêmement intéressanteà lire sur le site de la Ondo de Esperanto.
Mais comme le reconnait Dennis Keefe lui-même, améliorer notre communication ne suffira pas. Parmi les autres limites qu’il identifie, il mentionne celle qui se situe au niveau de l’enseignement de notre langue. Notre retard en matière de pédagogie Si l’importance du rôle de l’enseignement est selon moi sous-estimé, c’est paradoxalement… en partie à cause de la langue elle-même!
En effet, les espérantistes sont si convaincus de la facilité de l’espéranto, qu’il en viennent souvent à minimiser le rôle de la pédagogie. Et pourtant, beaucoup d’entre nous constatent le nombre élevé d’abandons chez les apprenants (dans les cours associatifs, et plus encore sur les sites d’apprentissage en ligne) ou leur stagnationà un niveau élémentaire (nos fameux eternaj komencantoj). Dans un article publié il y a quelques mois sur son blog, Zlatko Tiŝljar a mis en cause les auteurs de manuel d’apprentissage, selon lui responsables de « l’extrême lenteur de la croissance du nombre d’espérantistes-.
Son jugement peut sembler très sévère, mais je suis d’accord au moins sur ce point: l’immense majorité des manuels d’apprentissage actuellement en usage dans notre mouvement est périmée d’un point de vue méthodologique Enseigner une langue, c’est faire usage d’un ensemble de techniques basées sur des principes. La pédagogie est donc, comme toute technique, en constante évolution. Des méthodologies qui étaient novatrices en leur temps cède progressivement leur place à de nouvelles, plus efficaces ou mieux adaptées aux besoins des apprenants.
C’est le cas de la méthode directe qui, bien qu’elle jouit encore d’un grand prestige dans notre mouvement… est considérée partout ailleurs comme anachronique. S’approprier les idées et pratiques nouvelles Pour ne parler que des 40 dernières années, la pédagogie a connu pendant cette période deux temps forts: l’apparition de l’approche communicative au milieu des années 70, et la publication en 2001 du Cadre Européen Commun pour les Langues, qui a marqué l’arrivée de l’approche actionnelle. Ces deux approches (en particulier la première) ont complètement renouvelé les pratiques pédagogiques. Notre mouvement est resté en grande partie à l’écart de ces évolutions.
Rien d’étonnant à ça dans la mesure où l’espéranto est enseigné presque exclusivement par des bénévoles certes pleins de bonne volonté, mais dont bien peu ont bénéficié d’une formation à la pédagogie des langues. On peut penser que l’espéranto est une langue à part, que ce qui vaut pour les langues ethniques ne vaut pas forcément pour lui. Il y a une part de vérité là-dedans, mais n’oublions pas que l’espéranto reste essentiellement une langue et que l’apprentissage de toutes les langues relève, au fond, des mêmes mécanismes.
Nous avons tout intérêt à puiser dans ces approches nouvelles,à les adapter aux spécificités de l’espéranto. C’est d’ailleurs ce qu’avait très bien compris Andreo Cseh en son temps. Cseh, au fond, n’a rien inventé: il n’a fait que s’approprier la méthode directe qui était en vogue à son époque. Soutenir la formation des enseignants Heureusement, nous ne partons pas de zéro et nous avons la chance de disposer d’outils. Nous avons d’abord un livre de référence, le Manlibro pri instruado de Esperanto édité par ILEI.
Mais nous avons surtout deux formations de qualité: l’uneà l’université de Poznań (Pologne), et l’autre sur le site edukado.net avec la formation en ligne RITE En outre, il faut préciser que la grande majorité de ces personnes paye ces formations entièrement de leur poche – alors qu’elles le font pour le bénéfice de notre mouvement. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est anormal. Les associations de tous les échelons devraient se sentir beaucoup plus concernées par la qualité de leurs cours, et offrir plus de soutien financier à leurs enseignants qui souhaitent se former.
Une question de stratégie Naturellement ce soutien coûte de l’argent. Mais c’est un choix stratégique à faire: si nous voulons de meilleurs enseignants, il faut nous donner les moyens de les avoir. Ceci implique également une réflexion autour des tarifs de nos cours.
Il est faux de croire que les apprenants déserteraient les cours d’espéranto si leurs tarifs étaient plus élevés. Il me semble au contraire que la majorité accepterait de payer plus pour profiter de cours de meilleure qualité. Quand on aborde la question du développement de notre langue, notre premier réflexe est de réfléchir à comment convaincre un plus grand nombre de gens à apprendre l’espéranto. J’espère que de plus en plus d’espérantistes réfléchiront aussi à cette problématique: comment faire réussir un plus grand nombre de gens à apprendre l’espéranto. (article paru dans la revue Esperanto-Info n°112)
1) Retrouvez les articles de Dennis Keefe sur cette page
2) Zlatko Tiŝljar : Lernolibraj aŭtoroj kulpas pro malrapidega kresko de nombro da esperantistoj.
3) Seule exception notable: Esperanto por lernejaj klasoj, de Josias Barboza.
4) Andreo Cseh (1885-1979), prêtre catholique hongrois célèbre dans le mouvement espéranto pour avoir inventé la méthode qui porte son nom.
La méthode Cseh (prononcerĉe) a connu un très grand succès dans les années 20 et 30.