Art-icle : “Le joueur d’échecs” de Stefan Zweig

Aujourd’hui, nous vous partageons l’article d’Arno sur une célèbre œuvre de Stefan Zweig ! Il a par ailleurs traduit ce roman en espéranto. Si vous désirez le lire, c’est par ici !

Le joueur d’échecs (en allemand: Schachnovelle = La nouvelle d’échecs) est une nouvelle
remarquable de Stefan Zweig, écrivain autrichien de la première moitié du vingtième siècle. Il faut souligner que Zweig était un véritable Européen, qui, entre autres, a eu une correspondance abondante avec son ami Romain Rolland. Rolland et Zweig ont été à l’époque de la Première Guerre Mondiale les précurseurs de l’Union Européenne actuelle. Romain Rolland a, à plusieurs reprises, exprimé publiquement son soutien à l’espéranto. Zweig a produit de nombreux romans et nouvelles éminents, mais Le joueur d’échecs est quasiment son testament, puisqu’il s’est donné la mort un an après l’avoir écrit.

Le récit est quasiment autobiographique. Le protagoniste, le « joueur d’échecs », est un avocat
d’affaires autrichien le Dr B. qui s’exile en Amérique du Sud après l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938). Et, en fait, Zweig a pareillement quitté l’Autriche pour s’exiler aux États-Unis puis au Brésil.

Le narrateur ne laisse presque rien savoir sur lui-même: il n’est qu’un témoin des événements,
voyageant par hasard avec les protagonistes, et il a reçu les confidences du joueur d’échecs à propos des événements antérieurs, ce qui permet au lecteur de comprendre comment tout s’est déroulé.

Sur un bateau navigant de New-York à Buenos Aires, se trouvent un champion d’échecs, qui hors du
jeu d’échecs se révèle un lourd paysan stupide ignorant et inculte et ce Dr B. qui est devenu un joueur d’échecs virtuose dans des circonstances extraordinaires. Il était en fait avocat pour un client unique : la famille impériale d’Autriche dont il gérait le patrimoine. Lorsque les nazis ont annexé l’Autriche, ils l’ont fait prisonnier, car ils voulaient qu’il révèle où se cache l’or de la famille impériale, pour s’en emparer. Et il reçut un traitement particulier, apparemment privilégié, sans souffrances, sans tortures, n’étant pas contraint à des travaux forcés dans des conditions pénibles. Non, il fut simplement placé dans une chambre d’hôtel. Et la torture consistait à le priver de tout. Dans la chambre ne se trouvaient que les meubles indispensables: un lit, une chaise, une table. Il ne voyait personne. Le gardien qui lui portait ses repas ne lui adressait pas une parole. Pas le moindre livre, ni le moindre bout de papier, ni le moindre crayon, pas même une allumette pour se distraire. Et cela dura des semaines. Des semaines de torture par le néant.

Soudain, un jour, on l’emporte pour subir un interrogatoire. Comme les enquêteurs ne réussirent pas à obtenir les informations qu’ils souhaitaient, il subit d’autres interrogatoires à n’importe quelle heure de la nuit ou du jour de façon imprévisible. Ces interrogatoires étaient précédés d’une attente interminable dans une antichambre, évidement dénuée de tout meuble.

Cependant, un jour, un miracle se produit. Dans l’antichambre pendaient les manteaux des enquêteurs et Dr B. s’enhardit à les palper et il y découvre un livre dont il réussit à s’emparer, espérant enfin pouvoir lire un peu de littérature. Grande est sa déception lorsqu’il constate qu’il ne s’agit pas de littérature mais d’un manuel d’échecs qui compile les parties les plus remarquables des champions des dernières décennies, notées à l’aide de symboles. Il commence par entrer dans une grande fureur du fait de cette déception, puis il se heurte à ces symboles qu’il ne comprend pas, et enfin il réussit à déchiffrer les codes et – n’ayant pas le choix – il étudie le manuel de bout en bout. Et il s’entraîne à rejouer toutes les parties, d’abord à l’aide de figurines qu’il façonne avec de la mie de pain, puis de tête «à l’aveugle». Lorsqu’il eut joué toutes les parties de tête, il se mit à en jouer de nouvelles «à l’aveugle» jouant et les noirs et les blancs, jouant contre lui-même jusqu’à la démence. Dans une crise de démence il se blesse gravement en cassant une vitre. Les nazis le relâchent pour qu’il soit soigné et avec l’aide d’un médecin complaisant il réussit à quitter l’Autriche.

Au cours de la navigation une succession de circonstances l’amènent à défier le champion du monde, poussé par un petit cercle d’amateurs d’échecs qui tiennent à les voir s’affronter. Dr B. gagne une première partie contre le champion qui accepte très mal sa défaite et exige une revanche. Bien que le Dr B. ait fait savoir qu’i ne jouerait qu’une seule partie, il se laisse convaincre d’en disputer une seconde. C’est au cours de cette seconde partie qu’il est pris d’un accès de démence, que nul ne comprend à part le narrateur qui connaît les épreuves vécues par le Dr B.

Zweig fait ce récit avec tant d’adresse, que le lecteur peut facilement s’identifier aux protagonistes, au point de ressentir les progrès de la démence causée par les circonstances. Et ceci est d’autant plus poignant lorsque l’on sait que Zweig s’est suicidé, ne supportant plus les événements historiques dramatiques du monde de cette époque.